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Le voyage d'Alain

Un long-métrage documentaire de Catherine Bernstein.


France 3 Occitanie

Fonds de soutien CNC
Images de la diversité

J'ai rencontré Alain Daumas en 2015.

Alain a connu une enfance difficile. Son père le maltraite, lui et ses frères. Il vit littéralement sous la caravane.Très tôt, il doit quitter l’école pour gagner sa vie. D’abord ramasseur de ferraille, Il devient par la suite foreur sur de gros chantiers à travers le monde. Il percera des trous en grande profondeur. Ce travailleur fiable et rigoureux sera respecté de tous.

Partout où il ira, sa femme Maria l'accompagnera. Elle élèvera leurs trois filles. Soutenu par sa femme, Alain va très tôt s'engager dans une lutte contre les injustices dont les Tsiganes sont victimes.

A soixante-dix ans, après avoir réussi à obtenir l'abrogation du « carnet de circulation » imposé aux seuls Français nomades, après avoir organisé de nombreuses commémorations et être devenu le représentant de toutes les associations françaises des Tsiganes, Alain n’a toujours pas trouvé la paix.

Un jour, il m'a montré la photographie qu'il porte toujours sur lui, celle du visage d'une jeune fille dans l'entrebâillement d'une porte d'un wagon de marchandise. Il m'a appris que cette célèbre image (révélée notamment dans le film Nuit et brouillard) a longtemps été un symbole de la souffrance des Juifs, jusqu’à ce qu'un journaliste découvre en 1994 l'identité de la jeune fille : elle s!appelait Anna-Maria Settela Steinbach et elle était Tsigane. Settela était son prénom sinti. Elle mourra gazée à Auschwitz avec sa mère et ses frères et sœurs.

Pourquoi cette terrible méprise autour de cette image, devenue icône de la Shoah ? Pourquoi si peu de retentissement autour du génocide tzigane ?

Alain m’a fait remarquer que les Tsiganes n’étaient pas perçus comme des victimes à part entière du génocide perpétré par les Nazis : « Mon plus grand espoir est qu’un jour nous soyons, enfin, pleinement reconnus comme étant, avec les Juifs, les deux seuls peuples à avoir été désignés comme devant être totalement éradiqués de la surface de la Terre. »

Aujourd'hui, mû par une nécessité absolue, Alain a décidé de partir à Auschwitz, là où cette jeune fille a été assassinée.

Un film s’est alors imposé à moi et j’ai demandé à Alain de me permettre de l’accompagner.

Ce voyage, ce mouvement, ne se fera probablement pas en ligne droite. Même si Alain a une destination précise en ligne de mire, j'aime l'idée de voir dans ce voyage une sorte d'errance sur les routes d'Europe. Me vient en mémoire un vieux dicton de Rabbi Nahman, rabbin de Bratslav en Ukraine : « Ne demande pas ton chemin à quelqu'un qui le connaît, tu risquerais de ne pas te perdre. » C'est de cette perte qui risque d’être vertigineuse qu'il s'agit ici. Certes Alain prépare le trajet avec quelques points de chute, mais il se laisse la liberté d!emprunter des chemins de traverse. Je pressens aussi que plus nous approcherons du site d'Auschwitz, plus Alain ralentira son avancée.

Je vais donc suivre le voyage de ce Tsigane qui va sur les traces de la mémoire dont son peuple a été dépossédé à l'instar du visage de cette fillette qui symbolisait le martyre juif alors qu'elle était sinti.

Mais, en partant sur les traces de l'extermination des Roms durant la Seconde Guerre mondiale, Alain risque aussi, au fil des étapes d'un voyage traversant pas moins de neuf pays et de ses rencontres, découvrir la condition de ce peuple dans l'Europe d'aujourd'hui.

En effectuant ce voyage, en se rendant dans ce lieu perdu au fin fond de la Pologne, cet homme inquiet, intranquille, espère trouver enfin une certaine paix.

Mais qui sait où ce voyage va le mener ?